Juste après avoir quitté Colos et son nouveau maire (qui n’est malheureusement ni une merveille ni un défunt cycliste italien – ceux qui ne suivent déjà plus doivent se référer aux commentaires !) un gros dilemme se présente devant nos roues. Soit nous filons droit vers le Sud pour atteindre le cœur de l’Algarve, soit nous faisons un crochet par la côte Ouest et le cap Saint – Vincent. Nous tranchons démocratiquement devant nos sept assiettes de frites et le vote à bulletins secrets donne un résultat sans appel : quatre d’entre nous souhaitent aller surfer sur les vagues de la côte Ouest. Le soir même, nous sommes à Zambujeira do Mar où nous campons parmi les eucalyptus. La plage, bondée l’été, est toute entière pour nous. Zoé fait un beau gâteau de sable pour que sa mère puisse souffler sa nouvelle année. C’est une date symbolique pour nous. Voilà un an, nous nous étions dits : « Ce serait bien de fêter le prochain anniversaire de Maman ailleurs qu’à Labarthe, loin… »

Après quelques montagnes russes (évidemment, les fleuves coulent tous jusqu’à l’océan, les mal-appris, et ils ont creusé des vallées perpendiculaires à notre route) nous atteignons la ville de Sagres puis le « Cabo Sao Vicente », la pointe qui se voit bien sur les cartes, tout au Sud-Ouest de l’Europe. Nous atteignons avec émotion un point stratégique de notre voyage : à partir de maintenant, nous allons faire bronzer nos côtés droits qui n’ont guère pris le soleil depuis le 25 août. Nous sommes partis pour quelques mois de route vers l’Est, jusqu’à la Mer Noire si tout va bien.

Avant le cap, petite péripétie œnologique. C’était une fin d’après-midi et comme d’habitude, on demandait aux gens de nous indiquer un coin où on peut planter nos tentes. Après la petite discussion d’usage (qui fait rire les enfants à chaque fois, car Pascal sort chaque soir la même phrase routinière) le papi interrogé demande si nous sommes espagnols. « Ah , français, ben alors, vous allez venir boire un p’tit coup de Bordeaux, nous répond-il du tac au tac, avec un roulement de R qui lui donnerait plutôt des origines bourguignonnes que bordelaises. Il a travaillé pendant plus de dix ans dans la région parisienne et peux encore nous réciter les départements et leurs numéros. Laurence n’est pas trop favorable à cet arrêt-apéro car nous n’avons pas encore trouvé de point de chute pour ce soir, mais notre devise étant « Ne jamais refuser ce qu’on nous propose », va pour un « p’tit coup de Borrrdeaux ». On entend alors notre papi farfouiller, transvaser on ne sait quoi dans sa cuisine. Il finit par arriver effectivement avec une belle bouteille de Bordeaux  (foi d’étiquette) et nous sert deux grands verres d’un liquide rose-orange douteux. Il en propose même à Alice, Clara et Maël, qui refusent poliment, les malins. La première gorgée confirme l’impression visuelle : la partie s’annonce difficile, les verres vont nous paraître trop grands, pour une fois. Son picrate est infâme et ne vaut même pas un mauvais vinaigre ! Dieu et Delphine savent pourtant que nos estomacs en ont vu d’autres. Heureusement, « Papi Bordeaux » distrait Pascal en évoquant avec lui les cyclistes français des années 60-70 : Jacsanqtil, Rémonpoulidorrr, Edimèrse et Berrnarrino (je transcris scrupuleusement la prononciation locale) sans oublier le grand cycliste portugais Joaquim Agostinho, mort en course tout près d’ici. Pascal parvient donc à oublier ce qu’il boit, mais Laurence ne trouve que peu d’intérêt à la conversation … et encore moins à la dégustation. Alors, elle triche un peu : en allant soi-disant chercher les bidons pour faire le plein d’eau, elle vide prestement le contenu de son verre derrière la camionette de Papi Bordeaux. Les enfants sont choqués : « C’est la première fois qu’on voit Maman jeter du vin ! »  Vont-ils s’en remettre ?  Pascal, stoïque, finit son verre et en descendra même un second. Finalement, à force de questionner Papi, on finit par obtenir un endroit pour passer la nuit : une vieille maison située un peu plus loin au bord de la route. « Vous pouvez y aller tranquilles, le propriétaire habite à 300 km d’ici . »  Légère déception quand on arrive sur les lieux. En effet, vu l’état de la bicoque, il ne doit pas y venir chaque semaine, le propriétaire. Peu importe, un mur nous permet de cacher les vélos et un pin va dissimuler nos tentes. Ce soir, les gendarmes auront du mal à nous trouver ! Merci donc, Papi Bordeaux pour ta bonne adresse. Mais s’il faut avaler la même chose tous les soirs pour dormir tranquilles, on aura bientôt des trous dans l’estomac !

A Sagres, on visite le plus vieux club nautique du monde, créé par Henri le navigateur au XVème siècle. Son école de navigation rendra les Portugais maîtres de l’Atlantique et de l’Océan Indien, grâce à la mise au point des caravelles et de nouveaux instruments permettant de naviguer loin des côtes.  On discute aussi avec des pêcheurs qui lancent leurs lignes depuis le haut des falaises. L’eau est très poissonneuse, mais il ne faut pas avoir le vertige.

Dans les environs de Lagos, on se retrouve en territoire occupé. Des légions (pour ne pas dire des hordes) de Britanniques s’y pressent. Certains en simples touristes (des dizaines de charters arrivent tous les jours en Algarve) mais beaucoup ont là des résidences principales ou secondaires, jouent au golfe ou laissent leurs voiliers dans les marinas locales. Ils profitent sans doute du climat mais ne cherchent pas à s’intégrer à la population : ils ont créé des commerces anglais, des écoles anglaises, des agences immobilières anglaises évidemment. Ils ne parlent pas portugais, bien sûr, ou alors si mal que c’est en presque drôle (on vous imitera le « Obrigado » prononcé par les Anglais, les enfants sont experts). Entendre parler portugais dans les rues de Lagos relève presque de l’exploit. C’est vraiment incroyable et ça nous laisse un sentiment trouble. Cette arrogance et cette façon de s’adresser en anglais aux Portugais sans même dire bonjour au merci dans leur langue nous choquent profondément. Nous luttons contre cette hégémonie culturelle en répondant toujours en portugais à ceux qui nous interpellent en anglais. Nous profitons quand même de Lagos pour emmener les enfants (et surtout Maël) voir des dauphins au large. Un zodiac lancé à 40 nœuds (75 km/h) sur les vagues, ça décoiffe ! Heureusement, les dauphins sont au rendez-vous, après une demie-heure de tape-cul. Nous quittons sans regret cette ville occupée, en montant dans un train (pas pour tricher, juste pour partir plus vite…)

A Faro, nous retrouvons enfin le Portugal portugais. Nous passons quatre jours à l’auberge de jeunesse où les enfants avancent dans leurs devoirs scolaires. Mais comme il faut aussi prendre l’air, nous visitons  la lagune, mangeons de la morue (plat national portugais), découvrons un atelier de restauration d’azulejos (carreaux de faïence qui recouvrent les murs). Joachim s’initie à la pêche au « choco » avec deux pépés dans le port. Mais non, il ne récupère pas des BN tombés des bateaux de touristes. Les chocos, ce sont les sèches, qu’on appelle aussi calamars. Il n’en pêche pas, mais nous aurons la chance de tenir les sèches dans nos mains, qui sont rapidement noires, comme l’eau du seau dans lequel elles séjournent avant de passer à la casserole. "Ces pauvres sèches stressées crachent leur encre quand on les touche". ( prononcer dix fois le plus vite possible)

Un soir, un pêcheur nous offre un grand sac de maquereaux. Heureusement que nos voisins de camping nous prêtent leur barbecue, parce que faire griller dix-huit poissons sur notre réchaud, c’était pas gagné. Ils sont excellents et l’indigestion n’est pas loin !


















Derniers jours au Portugal. Nous avons du mal à quitter ce pays dans lequel nous nous sommes sentis si bien. Nous commencions à « habiter la langue portugaise » et il va nous falloir changer de langue en franchissant en bateau le fleuve Guadiana pour passer en Espagne. Clara jette une bouteille au milieu du fleuve, une belle bouteille de « vinho verde » qu’elle nous avait obligés à vider la veille. Une carte postale au premier qui retrouve la bouteille !

A Huelva, leçon d’histoire pour les enfants sur le thème « Cristobal Colon y el nuevo mundo ». C’est en effet d’ici que les marins des trois caravelles sont partis, le 3 août 1492.

Un peu plus loin, on s’accorde une petite pause pour se baigner une dernière fois dans l’océan avant de rentrer dans les terres. Pascal en profite surtout pour se faire 100 bornes de vélo, sans bagages et à fond, pour aller acheter des cartes postales. Quand on vous dit qu’il n’est pas clair, ce type…

Nous voulions visiter le parc national de Donana, lieu d’hivernage de millions d’oiseaux, mais les marais sont encore secs et les oiseaux pas encore arrivés. Tant pis pour les oiseaux, nous nous accommodons fort bien de la sécheresse et de la chaleur. Le thermomètre dépasse encore souvent les 30° C. Pourvu que ça dure !

Nous rejoignons tranquillement Séville, dont Zoé rêve depuis qu’elle danse des …sévillanes. Trois jours sans vélo (encore !) pour découvrir la ville : cathédrale et sa Giralda, Alcazar commencé au temps de l’Andalousie musulmane, flamenco, tapas… C’est vrai que la vie est dure pour nous !

Après trois semaines de paysages côtiers, nous avons hâte de connaître l’Andalousie de l’intérieur. C’est l’époque de la cueillette des olives et de certains agrumes. Beaucoup de travailleurs immigrés sont arrivés : Africains et Européens de l’Est en particulier. Il y a aussi du travail dans les plantations de fraisiers. A ce propos, on vous déconseille fortement les fraises de Huelva : la plupart poussent tout près d’un immense parc industriel (pétrochimie, gaz, cuivre, engrais, tout y passe !) et les pulvérisateurs désherbent hardiment entre les rangs de plastique noir. Attendez-donc le printemps et les fraises du jardin !

Nous allons maintenant passer quelques jours à cueillir olives et agrumes dans une ferme près de Séville, puis nous roulerons vers Jaén, avant une grosse tricherie ferroviaire vers Barcelone. Rassurez-vous, on ne fait pas que tricher : les compteurs vont bientôt afficher 2000 bornes.