Devinez ce qui se trouve derrière la fenêtre de notre maison ! Allez, je vous donne un indice: nous sommes dans l'Est de la Sicile, tout près de Catania, et cette "chose" a une forme caractéristique. Bon, je sais, c'est trop facile: il s'agit bien sûr de l'Etna, tout couvert de neige en ce moment. Nous ne pourrons donc pas y grimper à vélo, mais nous consolerons peut-être en allant y skier ou y "raquetter", même si ce terme peut prêter à confusion au pays de Cosa Nostra ...


 

La Sicile est donc bientôt finie pour nous. Nous y terminons notre séjour par deux semaines dans une ferme, chez Gabriella et Paolo. Nous ne manquons pas de compagnie, puisqu'il y a ici trois autres "wwoofers" (stagiaires), deux américaines et un anglais, les quatre enfants de la ferme, trois chevaux, deux ânes, une chèvre et un bouc, quelques chats, plein de chiens, des oies, des poules...



Travaux divers sur la ferme, devoirs scolaires pour les enfants, contacs internet, blog: nos journées sont bien remplies. Encore une pause qui tombe très bien car le temps est plutôt  à la pluie en ce moment. Nous prendrons bientôt le bateau pour nous glisser entre la Sicile et la pointe de la botte et remonter plein Nord, vers Naples et son Vésuve, histoire de changer de volcan.

 

Retour sur notre mois sicilien.

 

Débarqués le 3 janvier vers minuit à Tràpani (pointe Ouest de l'île), nous n'en menions pas très large en voyant le vent secouer les mâts des bateaux et déchirer le linge aux balcons. Alors, que devions-nous faire? Longer les côtes ventées? Tenter la traversée par l'intérieur des terres? Tricher un peu en prenant le train? Le trajet par les montagnes du centre a vite été rejeté, la Sardaigne nous ayant clairement montré nos limites en côte. Le train, on en avait déjà abusé entre Aranjuez et Barcelone. Alors, va pour la côte et tant pis pour le vent. Côte Sud, bien sûr, pour être plus près du soleil... Bonne pioche: la côte Nord a connu plusieurs jours de déluge, glissements de terrain, voitures emportées (alors, ne parlons pas des vélos!). Très bonne pioche même: le vent nous a souvent été favorable et les averses de pluie nous ont toujours laissé trouver un toit avant de se déchaîner. Côté vélo, ces six cents kilomètres ont été plutôt vite avalés, avec une moyenne de 50 km par jour. Pas de grosse galère vélocipédique à raconter dans les chaumières. Entre les journées de vélo, il y eut beaucoup de journées de pause, car la Sicile est fabuleuse de richesses.

 

Richesse historique: les Grecs ont laissé leurs traces partout.

Si la "Vallée des temples" d'Agrigento ne nous a pas déçus, c'est la vieille ville de Sélinunte (cent kilomètres plus à l'Ouest) qui nous a vraiment fait faire un voyage dans le temps. A côté des temples, écroulés ou relevés, impressionnants, les ruines de la ville grecque nous ont émus. Nous étions seuls dans les rues et avions l'impression d'être les découvreurs de ce lieu. Il ne reste plus grand chose des maisons, mais assez pour s'imaginer la vie des habitants. Ici, les meules du moulin, là, un puits avec des lettres grecques peintes sur le mur. Plus loin, un passage souterrain pour franchir les portes de la ville. Ailleurs, une large rue pavée où se voient bien les deux sillons creusés par les roues des chars. Maël n'a pas pu s'empêcher d'escalader la muraille entourant la ville ! La section escalade du collège peut être tranquille: il n'oublie pas de s'entraîner et reviendra en forme. Le Parthénon n'a qu'à bien se tenir, notre grimpeur est prêt...


Autre lieu magique : l'île de Mozia, dans une lagune a l'extrémité ouest de l'île. Colonie phénicienne depuis le VIIIème siècle avant JC, souvent alliée aux Carthaginois dans ses batailles contre les Athéniens, l'île est finalement tombée aux mains des Grecs établis à Syracuse en 397 avant JC. Des dates et des noms qui s'impriment dans les têtes des enfants... Là encore, nous avions l'île pour nous tous seuls. "Tour du propriétaire" sous un beau soleil, voyage hors du temps avec à l'horizon les îles Egades, "satellites" de la Sicile.  Charmes de la Sicile en hiver: le temps y est très acceptable et on a toute la place qu'on veut. Sans parler du prix des hébergements, divisés par deux ou trois par rapport à l'été.

Et comment oublier Syracuse? Pays d'Archimède, qui a longtemps repoussé les assauts des Romains grâce à ses inventions: système de miroirs convergents grâce auxquels il mettait le feu aux navires ennemis ou encore grues munies de grappins à l'aide desquelles les Syracusains "pêchaient" les bateaux qui tentaient d'accoster.

Syracuse et son île d'Ortygie, creuse comme un gruyère où les Grecs se cachaient et stockaient d'énormes réserves d'eau leur permettant de résister aux sièges imposés par les Romains.

Mélanges architecturaux inattendus, comme la cathédrale bâtie à l'intérieur d'un temple dédié à Minerve. Syracuse et son théâtre grec taillé directement dans la colline de calcaire. Syracuse et ses grottes gigantesques creusées par l'homme. Quand on voit tout ce qu'ils ont fait, on se dit que la vie d'esclave ne devait pas être très enviable.  Syracuse et ses papyrus (c'est le seul endroit d'Europe où il pousse).

 

Impossible d'oublier la petite ville de Noto, voisine de Syracuse et royaume du baroque flamboyant et parfois même délirant, gonflé d'arabesques débordant des balcons. Notre arrivée dans cette ville peu avant le coucher du soleil, quand tous les bâtiments prennent une teinte ocre, sur fond de ciel bleu, fait déjà partie des grands moments du voyage!


 

Mais la Sicile est loin de se résumer à ses temples grecs ou à ses villes lourdes d'histoire.

 

Richesse géographique

 

Salines, longues plages à l'eau turquoise, côtes rocheuses. Pour les montagnes, on reviendra quand on sera plus légers, mais ça n'a pas l'air mal non plus.

 

Richesse gastronomique

 

"Frutta martorana", fruits réalisés en pâte d'amande et impressionnants de réalisme


"Arancini": boules de riz pannées, renfermant du ragoût à la viande et au fromage. Chaque fois qu'on est en ville, c'est la base de notre alimentation.




Oranges, en particulier celles qui poussent autour du village de Ribera. Quand on achète un kilo d'oranges, il arrive qu'on ait une seule orange! Mais ça, on nous l'a raconté, car en un mois, on n'a pas acheté une seule orange, tellement on nous en a donné. La grippe a peu de chances de nous rattraper: nos réserves de vitamine C sont gonflées à bloc!




 

Richesse humaine

 

Au delà de tout ce qui vient d'être dit, c'est la chaleur et la générosité des Siciliens qui nous resteront au coeur. Comment leur rendre tout ce qu'ils nous ont donné?

La liste est trop longue de tous ceux qui nous ont aidés. Que ce soit pour un hébergement, un repas, des cadeaux (à manger ou à boire !), un café ou plus simplement un moment à parler, nous avons chaque jour trouvé des femmes et des hommes qui voulaient nous aider. Ils font maintenant partie de nous, à tel point que, pas encore partis, nous souhaitons déjà revenir retrouver la chaleur de leur amitié.

Comment oublier "notre" Pepe Genna, sculpteur de la belle pierre de tuf, roche sédimentaire que les Grecs utilisaient pour bâtir leurs temples? Depuis, les enfants se sont mis à sculpter la pierre. Comme si nous n'étions pas assez lourds, nous transportons maintenant des pierres dans nos sacoches... Nous aurions mieux fait de rencontrer un sculpteur sur liège!


Comment oublier Hedi, gardien de nuit tunisien du bar sur la terrasse duquel on avait trouvé refuge? Hedi trop heureux qu'on accepte de partager son couscous de poisson. On a passé une journée de plus devant l'île de Mozia, juste pour lui faire ce plaisir de nous apporter son couscous. Son sourire est dans nos coeurs.


Comment oublier Giovanni qui nous accueillit chez lui un jour de tempête et nous cuisina les poissons pêchés le matin même? Sa voix et son accent résonnent encore dans nos oreilles.



Comment oublier "Giovanni 2", qui nous laissa disposer d'une maison qu'il loue habituellement comme Bed and Breakfast, pour rien et sans même nous demander nos noms?

 

Comment oublier tous les autres?

-Margherita et Maria qui nous indiquèrent un bar mille étoiles sur la plage de Pozzallo


-Michele qui nous invita au bistrot, à prendre café ou chocolat chaud et épais, à la grande joie des enfants


-Sebastiano, moniteur d'auto-école (ou plutôt Scuola-guida, comme on dit ici) qui nous prit sous son aile un soir et ne nous lâcha pas avant de nous avoir trouvé un toit pour la nuit, puis revint un peu plus tard nous offrir une caisse d'oranges de 10 kgs (pour la caisse de pêches, il faudra attendre un peu, Dominique) et deux bouteilles de vin.


-les pères Gaudenzio, Remondi et Giacchino, qui nous ont laissé installer notre campement dans leur église pour deux nuits, et nous y ont encore accueilli une troisième nuit, alors que l'orage nous avait surpris cinq kilomètres seulement après notre départ...


-Sebastiano, dit Nucio, sociétaire de Banca Etica, banque italienne fiancée avec notre "banque", la Nef. Pour ceux que la finance "éthique" intéresse, voir le lien en bas à gauche sur la page d'accueil du blog. Ils nous a accueillis à Syracuse, a hébergé nos vélos et été un guide fabuleux, racontant avec chaleur les légendes et histoires de sa ville.

-Notre "M. Andrieu", qui nous a ouvert son garage un soir d'orage, alors que les croquants et les croquantes nous priaient d'aller voir plus loin.

-Les enfants du village de Scoglitti, qui voulaient absolument nous trouver un coin au sec pour passer la nuit. Ils ont parcouru le village en tous sens sur leurs vélos déglingués pour nous...

-Tous les anonymes qui nous ont encouragés, donné des oranges, citrons, pamplemousses, jusqu'à ce maraîcher qui nous a accostés, juste pour avoir le plaisir de nous donner un chou-fleur.

-Et enfin Paolo qui nous accueille avec générosité dans sa ferme au pied de l'Etna.


 

Bien sûr, toutes ces rencontres, c'est à nos vélos qu'on les doit. Une famille à vélo, surtout en hiver, ça ouvre bien des portes et des coeurs. Quelques-uns nous prennent pour des fous, bien sûr. Ont-ils tort, d'ailleurs? Mais qu'il est bon de voir ces inconnus nous aider, nous rassurer, nous conseiller. Ces relations humaines seront les plus beaux souvenirs du voyage. C'est à la recherche de ces contacts qu'on était partis. On peut dire que la Sicile, plus que toute autre région, nous a comblés.

 

Et les enfants, dans tout cela?

Ils nous impressionnent davantage chaque jour. Leur faculté d'adaptation est énorme. Ils ne rechignent pas devant les côtes, ne grognent pas quand il faut enfiler l'imper, rigolent quand leur père trouve des "raccourcis" tellement boueux que la boue bloque les roues. Ils prennent même un certain plaisir à camper dans des "squats" un peu glauques, pour peu que quelques télés aient été déposées là, parmi d'autres déchets, semblant attendre leur mise à mort. (A propos, leur tableau de chasse s'est récemment enrichi de huit tubes cathodiques!).

Ils seront bientôt incollables sur l'histoire grecque et sur les ruses d'Archimède.

Ils prennent de plus en plus de plaisir à parler italien. Aller faire les courses est un jeu. "Même si on ne connaît pas tous les mots, on se fera bien comprendre!".

 

 

Nous venons de franchir plusieurs caps.

Tout d'abord, celui de la première moitié du voyage, déjà... Nous savons que la deuxième partie va passer très vite et profitons à fond de chaque instant.

Nous avons aussi atteint le point le plus au Sud de notre voyage, qui est aussi (à l'exception de quelques îles) le cap le plus au Sud de l'Europe. A ce sujet, une carte postale à la première ou au premier qui nous trouve le nom du cap le plus au Sud de la Sicile. Tous aux atlas!

Presque accessoirement, mais fêté tout de même, le cap des 3 000 km à vélo a été franchi.


 

Cet article est peut-être un peu long, mais étant donnée la longue absence qui l'a précédé, nous vous devions au moins ça. Et je crois que nous avions à coeur de vous parler de la Sicile et de ce très nombreux clan des Siciliens qui nous ont aidés à progresser lors de notre séjour chez eux.

 

Encore deux semaines de Sicile avant de revenir sur le continent pour un moment que les enfants attendent depuis longtemps: leur rencontre avec Pompéi et Herculanum. Et puis, à Napoli, nous aurons peut-être des visiteurs bourguignons. Promis, on vous raconte ça au prochain numéro!

 

Bonne fin d'hiver à tous. Continuez à nous inonder de messages sur le blog, mais c'est notre carburant. Alors, à vos claviers.

 

Nous vous envoyons à tous un peu de la neige qui chapeaute l'Etna et ses 3 330 mètres. (presque aussi haut que notre Aneto). Qu'il est beau, tout là-haut, juste derrière la vitre de notre petite maison de paille, quelque part en Sicile...

Ca y est voici plein de photos pour vous occuper. A la prochaine !!