Deux semaines déjà. Deux semaines seulement ? Les impressions, les visages, les paysages rencontrés sont si nombreux qu’il nous semble être partis depuis des mois.

Depuis Barbastro, la ville jumelle de Saint-Gaudens, nous avons d’abord traversé la zone semi-désertique des Monegros. Paysage de western, roches déchiquetées qui contrastent avec des champs de maïs ou de luzerne, cultures rendues possibles par un impressionnant réseau d’ irrigation.

L’accueil dans les villages a tout de suite été très agréable. Une famille de six qui débarque  à vélo, ce n’est pas très courant et engendre assez vite la sympathie. « Ces pauvres enfants, leurs parents sont fous, il faut bien les aider… » semblent penser certains. C’est ainsi que nos petits cyclistes se retrouvent souvent invités à se baigner (gratuitement, bien sûr, « leurs parents doivent être sans le sou pour se promener ainsi sans moteur »). Les douches municipales sont les bienvenues pour un bon décrassage…

Nous retrouvons l’ambiance argentine (grands espaces, petits villages avec leur parc où les habitants se rassemblent quand la chaleur du jour diminue). Pascal se régale de parler espagnol … et de boire des cañas (bières pression) avec ses nouveaux potes.

Nous apprenons à gérer le ravitaillement quotidien de l’équipe. La boulangerie est souvent le lieu de rassemblement des gens du village. Notre passage obligé par cet endroit nous donne une autre occasion de parler et de blaguer avec les villageois. La « chasse à la canette » est aussi une de nos occupations favorites. Pas facile de maintenir le niveau de Corbières 12° ou de pastis dans nos bidons. C’est sans doute l’évaporation naturelle… Heureusement, on trouve assez facilement des fontaines publiques. Et quand on n’en rencontre pas, cela nous fournit une bonne occasion pour rentrer dans un bistrot.  Il fait encore très chaud ces jours-ci et rouler après 14 heures peut-être un sport dangereux qui ne plaît pas tellement à la majorité de l’équipe. Il faut donc partir tôt, mais nous n’avons pas encore pu « décoller » avant 9h15.

Dans la sierra d’Alcubierre, un peu à l’est de Zaragoza, nous faisons un petit détour pour aller voir les restes des « tranchées » dans lesquelles se sont battues les troupes républicaines durant la guerre civile de 1936 à 1938. A l’époque, la ville de Huesca était restée  fidèle à la République alors que celle de Zaragoza avait été prise par les franquistes. Les deux blocs se faisaient face à quelques centaines de mètres de distance, de part et d’autre de la route reliant les deux villes. Les affrontements ont duré vingt mois, tournant finalement à l’avantage des insurgés de Franco. L’écrivain anglais George Orwell, engagé dans les Brigades Internationales a combattu là en 1937. Ce lieu de mémoire porte maintenant son nom.

Depuis le col, une longue descente nous permet de rejoindre Zaragoza. C’est tellement agréable que Pascal se croit obligé de rajouter dix bons kilomètres, en loupant une bifurcation dans un village. Nous pensons être hébergés chez Alberto, dans une jolie maison avec piscine, ce qui donne aux enfants la motivation nécessaire pour pédaler sous le soleil et monter notre record journalier à 65 kilomètres. Finalement, Alberto ne peut pas nous recevoir : il est à Madrid pour son travail. Le moral en prend un coup !  Heureusement, après huit kilomètres supplémentaires en ville, nous trouvons le camping municipal où les enfants se ruent dans la piscine.

Deux jours plus tard, nouvelle tricherie : nous montons dans un train en direction de Guadalajara. La gare de Zaragoza est immense. Nous devons faire passer tous nos bagages aux rayons, comme dans un aéroport. Bien sûr, on « oublie » de passer quelques sacoches et même la remorque. Il nous faut ensuite emprunter un escalator avec les vélos pour descendre vers les quais. Le chargement des vélos, remorque et bagages se passe bien. Ouf !, tout est rentré. Rien ni personne ne manque à l’appel. Nous savourons trois heures de repos total, sans avoir à pédaler ni à penser. Voyant le paysage montagneux qui défile, nous apprécions encore plus de n’être pas sur les vélos.

Quand le train s’approche de Guadalajara, le soleil se couche déjà.  Après une descente un peu précipitée du train ( les arrêts sont très courts, soixante secondes maximum) il nous faut trouver un hébergement. Pas de camping en ville. Il nous faut donc rejoindre un village. Rien pour camper au bord de la route. Les quelques fermes qu’on voit sont encadrées de hauts murs ou grillages, toutes les entrées sont cadenassées et les messages pas spécialement accueillants. Nous arrivons à Cabanillas à la nuit noire. Zoé veut s’arrêter. Elle pleure en pédalant. Pascal a beau la remorquer, elle n’en peut plus. Pas toujours rose, la vie de cycliste-voyageur ! Heureusement, une voiture s’arrête à notre hauteur. Pablo et Susana veulent nous venir en aide, mais n’a pas vraiment idée d’un endroit qui puisse nous convenir. Il savent que si notre présence dérange, quelque  bonne âme n’hésitera pas à appeler la police. Nos guides nous accompagnent donc à la « Policía Local » dans l’espoir qu’ils nous autoriseront à camper quelque part. L’accueil est plutôt froid. « Vous auriez dû prévoir… On ne circule pas sur la route avec des enfants à cette heure-ci… Nous n’avons pas l’obligation de vous fournir un logement… La Police n’est pas n centre social… » Le policier finit par avouer qu’on ne cadre pas avec son schéma de pensés.  Nos plus beaux ( ?) sourires, la mine défaite de Zoé, et les arguments de Pablo finissent pas le persuader de nous laisser dormir (« Mais pour une seule nuit, muchachos ! ») sur une grande aire où est montée de temps en temps l’arène. L’inspection de nos passeports finit de le dérider : il trouve marrant que Pascal ait quatre prénoms (merci les parents !) et un seul nom de famille, au contraire des Espagnols. On finit presque bons copains, mais il n’ira tout de même pas jusqu’à nous  payer une caña (pas de traduction cette fois, il faut suivre !).

Il est onze heures quand nous arrivons à notre « plaza de toros ». Heureusement,   la pleine lune nous éclaire pendant que nous essayons de monter les tentes. Nos guides nous souhaitent « buenas noches » et rentrent chez eux. Nous tordons les sardines les unes après les autres dans le sol tassé avant nous par des hordes de taureaux sauvages, alors qu’un vent fou projette du sable partout. Un dîner pain-confiture clôt cette soirée « survie ». Zoé dort déjà !

Le lendemain, toujours du vent, pas trop défavorable, heureusement. Villages et villes par ici sont très moches. Nous approchons les zones résidentielles du grand Madrid (la capitale n’est qu’à 50 kilomètres). L’immobilier semble se porter à merveille, mais toutes les constructions sont sur le même modèle british. Nous avons hâte de quitter cette zone. Pascal aurait bien aimé visiter la maison natale de Cervantès, à Alcalá de Hénares, mais il faudrait auparavant franchir une large zone périurbaine. Nous retrouverons donc le grand Miguel plus tard, dans les paysages de la Mancha.

 

Une côte à 7% sur 5 kilomètres nous guette, alors que la température avoisine les 40°.  L’équipe  est prête à se mutiner, mais Pascal alterne remorquage de Zoé et de la carriole et nous arrivons finalement au village de Pozo de Guadalajara (Puits de Guadalajara), où se trouve effectivement un puits qui historiquement alimentait en eau la ville située à 20 kilomètres de là. Nous campons tout à côté et utilisons son eau pour vaisselle et toilette. La lune encore pleine berce notre première nuit sur les terres de Castilla-La Mancha. C’est d’un romantisme fou, tout ça…

 

Deux jours plus tard, nous arrivons à Aranjuez, où nous sommes hébergés chez Ana et Juanpa. Ils sont maraîchers en agriculture biologique et font partie du mouvement WWOOF (Willing Workers On Organic Farms), au sein  duquel des bénévoles de tous pays peuvent travailler dans les fermes en échange du gîte et du couvert. C’est ainsi que nous occupons la petite maison réservée aux stagiaires, où nous retrouvons le confort de la douche (même froide), d’un frigo, d’une gazinière, d’une table, des trucs extraordinaires, quoi. Pascal se charge de mettre les enfants au travail scolaire pendant que Laurence travaille au jardin (cueillette des tomates et poivrons, désherbage…).

 

Nous visitons aussi les palais et jardins d’Aranjuez, contemporains de ceux de Versailles. Leçon d’histoire sur le XVIII° siècle, sans livres ni cahiers.

 

Après cette pause, nous reprenons demain (11 septembre) notre migration vers le Portugal, en passant d’abord par Tolède, puis nouvelle tricherie en train à partir de Torrijos. Les prochaines nouvelles vous parviendront sans doute du Portugal.

 

 

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Merci à tous pour vos messages que nous découvrons avec émotion à chaque connexion internet. Un merci tout particulier à Franck et Didier : une pensée émue s’envole vers vous à chaque écoute de musique ou visionnage de film.

 

Le moral des troupes est bon, ce qui n’a pas toujours été le cas. Le temps de trouver un rythme, d’organiser les journées, le chargement des vélos, de comprendre qu’à 14 heures il faut être fou pour pédaler, il y en avait toujours au moins un sur les six qui se demandait ce qu’il faisait là. C’est vrai que les concessions que font les enfants sont énormes, mais nous sentons qu’ils commencent à « entrer » dans le voyage en découvrant la diversité des paysages, des gens, en prenant plaisir à écouter et comprendre une autre langue. Ce qui leur manque le plus, ce sont les amis, la cour de récré, et les bêtises avec les copains. (Mis à part la récré, c’est pareil pour les parents !). Nous ne maîtrisons pas encore assez bien l’outil informatique et les arrêts dans les cybercafés, mais promis, nous allons progresser (Oui, oui, Franck !) et les enfants pourront être plus proches de leurs amis.

A titre d’info pour les jeunes : l’utilisation de MSN est difficile pour nos enfants car nous nous connectons en journée alors que vous communiquez plutôt le soir. Même quand nous sommes près d’un cybercafé, nous ne pouvons pas y aller de nuit (trop dangereux à vélo). Aussi, utilisez plutôt les courriels, c’est très sympa de trouver des messages quand on se connecte.